Marcher avant le jour. Camino de Santiago - Septembre 2007.
Marcher quand les mûres dans leur buisson sont plus noires que la nuit,
Marcher en surprenant la luciole promenant sa lanterne,
Marcher quand les oiseaux du ciel gardent leur gazouillis sous le bec,
Marcher quand la fraîcheur de la nuit fait oublier la sueur de la veille,
Marcher quand le masque de la nuit couvre l’âge des visages.
Marcher avant que les étoiles ne s’évanouissent,
Marcher avant que le grillon ne stridule sa chanson,
Marcher avant que lucane et scarabée ne clopinent en convoi funèbre,
Marcher avant que la limace n’enduise sa chausse d’une chose visqueuse,
Marcher avant que le coq ne colore le silence de quatre notes triomphantes.
Marcher avant que la cloche du couvent ne troue sept fois la nuit,
Marcher avant que la main n’échange la torche pour la gourde,
Marcher avant que la colchique n’étale ses pétales en étoile,
Marcher avant que le berger ne lève le bâton.
Marcher en posant doucement son bourdon sur le sol ; surtout, ne pas effrayer les mystères de la nuit.
Marcher prudemment en suivant la trace blanchâtre du chemin.
Marcher en complicité avec la sombre clarté sans ombre de la lune.
Marcher tant que la pensée reste inventive, les pieds encore jeunes, que le métronome des gambettes ait du ressort et
que le sac à dos ne vous scie les épaules.
Marcher en groupe, en amitié, en grand silence avant que le soleil ne délie les langues.
Marcher avec Fernando, John, Karl, Dimitri, Melchior, Balthasar, Gas…ton ; bouche close étant notre langue
commune.
Marcher seul dans le noir ; puis, dans le calme souverain de la nuit, lancer son cri silencieux vers l’Eternel.
Marcher avant que la prière du coeur ne soit rattrapée par la prière par coeur.
Marcher avant que l’homme comme il est ne redevienne l’homme comme il faut.
Marcher avant que l’homme, rien dans la nuit, ne pense être quelque chose dans le jour.
Marcher avant le jour quand le pèlerin, gueux de Dieu, est imprégné d’humilité.
Marcher dans le parfum d’herbes sèches,
Marcher dans l’aigre senteur des maigres épineux,
Marcher en faisant détaler loir, lièvre et furet, à toutes pattes vers leur
terrier.
Charles-Henri Masson, pèlerin